Agriculture. Changer vraiment et oser l’alliance écologistes-agriculteurs
Tribune parue dans Ouest-France
Le plan d’urgence annoncé par le gouvernement en soutien aux éleveurs laisse un goût amer.
Le drame de l’agriculture – en France, ailleurs aussi – n’est pas seulement dans l’impitoyable guerre des prix et l’exploitation, par les transformateurs et les distributeurs, d’un rapport de forces écrasant pour les éleveurs. Il est surtout dans l’absence effrayante de régulation des marchés (les outils existants ayant été méthodiquement supprimés) et dans le maintien absurde de politiques agricoles qui ont échoué. Résultat : des choix de productions mal pensés – par exemple le système maïs-soja, qui organise la dépendance des élevages aux importations américaines – et des paysans livrés, pieds et poings liés, à la seule loi – erratique, illogique et sauvage – du marché.
On nous dira que l’agriculture française reste l’une des plus performantes au monde. Qu’au prix de lourds sacrifices, les agriculteurs français ont profondément modernisé leurs exploitations. Mais justement : il faut s’interroger sur ce qu’a été le prix de tout cela. L’alimentation standardisée, contaminée par les pesticides, les producteurs déprimés, et peu à peu littéralement liquidés, l’environnement dégradé… Tout ce qui bousille aujourd’hui le métier de paysan et le regard des consommateurs sur le monde agricole. Sommes-nous condamnés à subir encore ce gâchis ? Non.
Il est possible de faire autrement, et les solutions sont de longue date connues et pratiquées : réduction des intrants, plus forte autonomie des exploitations, choix de la valeur ajoutée plutôt que des volumes (« si vous ne gagnez rien avec un litre de lait, vous ne gagnerez rien avec 400 000 litres de lait »), circuits de distribution raccourcis… Soutenues par les écologistes et les associations de consommateurs, portées par une frange encore minoritaire – mais de plus en plus large – du monde paysan, ces solutions ont déjà fait leurs preuves.
Le problème ? Pour les généraliser, il faudrait que le monde agricole dans son ensemble renonce au système de croyances qui justifie la poursuite sans fin de ce qui a échoué. Qu’on cesse de dire qu’il y a déjà trop de règles et de contraintes, qui briment la liberté d’entreprendre. De répéter qu’il n’y a pas de réels problèmes environnementaux, et que les écologistes exagèrent. Ces mensonges-là ont eu le mérite de souder les troupes, et de jeter un voile pudique sur le consentement des dirigeants nationaux du monde agricole, hier aux règles de l’OMC ou à la suppression des quotas laitiers, demain au traité TAFTA. Mais ce qui se passe sous nos yeux, là, c’est que le mensonge commence peut-être à ne plus opérer.
Car l’agriculture n’est pas une activité économique comme les autres. Elle ne se mesure pas qu’en données brutes de production, en milliers de litres de lait ou de tonnes de viande. Elle est faite de fonctions vivantes, d’utilité sociale et de soin aux paysages, aux sols et aux ressources, à la santé des consommateurs et des producteurs. Elle dessine les visages de nos campagnes et forme le goût de nos assiettes. Ce qu’ont peut-être entrevu les éleveurs en colère, c’est que tout cela pouvait disparaître. Que l’agriculture pouvait n’être plus, demain, qu’une industrie comme une autre, peut-être pire. Que l’avenir en fermes usines, sans paysans ni paysages, était droit devant si l’on n’empêchait rien. Et qu’on était déjà partis très loin dans le désastre. À ceux-là, à toutes celles et ceux qu’inquiète une « modernisation » aveugle et brutale, un système qui dévore ses propres enfants, nous proposons d’arrêter les frais.
Cette crise était prévisible, tout le monde le sait. Et le plus grand drame est que celles à venir le sont aussi, si rien ne change. Écologistes et agriculteurs, ensemble, nous pouvons peut-être changer ça. Nous n’ignorons rien de la défiance du monde agricole majoritaire envers les écologistes. Et pourtant, que chacun y réfléchisse bien : qui, ces dernières années, a dit la vérité aux agriculteurs, y compris lorsqu’elle n’était pas facile à entendre ? Qui a plaidé pour une réforme de la PAC juste et soutenable ? Qui lutte contre les traités transatlantiques qui signeraient la fin de la liberté de production alimentaire ? Qui plaide pour le développement de l’autonomie protéique nécessaire à votre indépendance ? Qui dit qu’il est préférable de manger moins de viande et mieux de viande pour soutenir une production française de qualité ? Qui s’oppose à l’éventration des campagnes par le délire suicidaire de la course aux volumes, qui élimine les paysans aussi sûrement qu’elle érode encore un peu plus la confiance des consommateurs ? Qui conteste, sur le terrain, l’aménagement irréfléchi de zones d’activités ou de rocades routières, toujours aux dépens des terres agricoles ? Qui, sinon les écologistes ?
Agriculteurs en colère, au fond, vous ne pouvez nous reprocher que d’avoir été cohérents. Nous continuerons de l’être, et de tendre la main, pour que s’élargisse toujours l’alliance des écologistes et de ceux qui, à l’intérieur même du monde agricole, veulent changer le système. Cette alliance, ce compromis entre deux camps présentés comme ennemis, coûtera sans doute, aux agriculteurs comme aux écologistes. À l’issue d’une bataille, on préfère toujours qu’un vainqueur soit proclamé, et être ce vainqueur. Nous plaidons à l’inverse pour que tout le monde y gagne. À chacun d’y réfléchir, pour préparer le changement plutôt que reconduire ce qui a échoué, et à quel prix.
René Louail, conseiller régional de Bretagne, tête de liste EELV aux élections régionales
Sophie Bringuy, vice-présidente de la Région Pays de la Loire, tête de liste EELV aux élections régionales
François Dufour, vice-président de la Région Basse-Normandie, chargé de l’agriculture
Yanic Soubien, vice-président de la Région Basse-Normandie, tête de liste EELV / Normandie Écologie aux élections régionales
Claude Taleb, vice-président de la Région Haute-Normandie, chargé de l’agriculture