Les monnaies complémentaires, un outil pour la relocalisation et la mutation écologique et solidaire de l’économie

Nous sommes confrontés à la convergence de trois crises climatique, financière et sociale :

les déréglements climatiques nous invitent urgemment à la transformation écologique de l’économie dans le sens d’une relocalisation de l’économie, d’un changement d’échelle dans la mise en réseau des expériences de circuits courts et d’économie solidaire.L’Etat, la Région, le Département sont de bonnes échelles où l’on peut créer des dynamiques de cohésion sociale, d’identité partagée pour développer des économies régionales de résilience qui valorisent les savoir faire et potentiels locaux ; une monnaie régionale peut mobiliser ses volontés partagées, les mettre en synergie, mobiliser l’épargne locale, fidéliser et développer des marchés locaux au lieu d’être soumis aux à coups hors sol de l’économie mondialisée dépendante du dollar et de la fluctuation des cours de matières premières ; ce n’est pas un rêve de baba cool écolo c’est une réalité significative en Suisse depuis 75 ans avec le WIR échangé par 70 000 entreprises ; au Japon avec de nombreuses monnaies locales depuis 20 ans, en Allemagne avec les monnaies complémentaires, au Brésil et avec les premières expérimentations de SOL en France ou même les SEL….

la bulle financière qui rejaillit sur l’économie « réelle » accumule et exporte par le marché des monnaies mondialisées l’endettement des personnes et des Etats dominants. La crise financière n’est pas terminée et nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle faillite généralisée de grandes banques qui verraient , du jour au lendemain comme en Argentine, la paupérisation des classes moyennes par l’impossibilité des banques de rembourser leurs clients. L’Economie locale et régionale en circuits courts d’échange équitable et solidaire avec une monnaie locale (équivalente à l’ Euro) est une économie de résilience qui permet d’affronter les bouversements mondiaux à venir. Ce n’est pas un repli localiste et autarcique c’est un pied d’une stratégie altermondialiste d’économie plurielle avec des échanges renouvelés entre les territoires et l’émergence complémentaire d’une gouvernance et d’une monnaie mondiale (le « Terra »). »une monnaie nationale complémentaire » de  Philippe Derudder et Andre-Jacques Helbecq Ed Yves Michel, préface de Pierre Rabhi est une proposition élaborée et opérationnelle qui peut faire l’objet du débat présidentielles et du projet 2012 (prochain article, voir http://aises-fr.org/action_citoyenne.html).

l’explosion des inégalités où l’argent (de moyen d’échange et de compte) transformé en bien propre thésaurisé produit exclusion et misère. Une monnaie locale, une monnaie sociale, une monnaie dédiée peut permettre l’accès aux droits élémentaires et produire de la richesse :

Le chèque déjeuner, le pass’culture, et pourquoi pas demain la monnaie départementale permettant notamment aux usagers des épiceries sociales d’accéder aussi au bien manger en circuits courts (AMAP, agriculture bio…)tout en permettant une juste rétribution des paysans.

L’expérience formidable de la ville brésilienne de Curitaba : En 1997 le nouveau Maire se trouve confronté à la misère des favellas sans avoir les moyens de régler le problème sur le fond mais déjà la situation sanitaire est déplorable parce que les véhicules de ramassage municipal des ordures ne peuvent y circuler. Il a fait poser des containers de tri sélectif avec des couleurs différentes à la périphérie des favelas et chaque sac d’ordures triées donnait droit à un ticket de bus de transport public. Puis ce sont des cahiers scolaires qui ont été donné en échange en début d’année et des denrées alimentaires. 70% des foyers se sont investis dans ce programme Et, progressivement cette dynamique d’échange et de solidarité s’est élargie aux questions du chomage, de l’éducation, de la culture. Aujourd’hui à Curitiba, le revenu moyen est 3 fois celui du Brésil et le niveau de vie réel (incluant par exemple des denrées alimentaires )correspond à 5 fois le salaire minimum.

C’est une autre réalité mais on voit quand même que des formes d’échange (qui correspondent à une monnaie locale) là où l’argent public est rare peuvent créer des dynamiques sociales fortes et de la richesse économique communautaire

1 / cf  « monnaies régionales » de Bernard Lietaer et Margrit Kennedy Ed Charles Leopold Meyer

L ‘intérêt et le fonctionnement d’une monnaie complémentaire :

-c’est l’exemple commercial des cartes grand voyageur de la SNCF ou des miles du transport aérien : ils ont des coûts fixes pour assurer les transports de personnes (matériel, personnels, carburants…) quel que soit le nombre de personnes transportées ; les transporteurs ont bien sûr intérêt à remplir leurs trains et leurs avions ; les cartes SNCF et les miles  aériens donnent accès pour un coût marginal (le prix du repas): remplir les avions et fidéliser les clients est bien plus rentable que de faire payer une place supplémentaire à tarif complet.

-autre exemple très parlant : les cinémas et les théatres : là aussi des frais fixes (chauffage, personnel, location de film…)qu’il y ait 50 ou 300 personnes dans la salle ; accepter une monnaie complémentaire sociale à tarif réduit permet à la fois l’accès à la culture pour tous et un complément de recette sans casser les prix pour tous et être alors déficitaire.

Intérêt et fonctionnement d’une monnaie complémentaire locale, écologiste et solidaire

Elle permet de créer un échange entre un besoin non satisfait en Euros et d’une ressource locale sous utilisée. C’est créer des réseaux d’échange et de services entre personnes et entreprises locales créant une cohésion économique et sociale régionale permettant de lutter contre les grands réseaux hors sol et se protéger des à coups monétaires mondiaux,

-c’est créer de la richesse économique locale en démultipliant les échanges grâce à une monnaie locale « fondante »qui perd de sa valeur à être thésaurisée/une étude sur les bons « chiemgauer » allemands montre qu’ils circulent trois fois plus que les euros et génèrent six fois plus d’affaires et d’emplois.

-dernier élément important : ces monnaies régionales, ces monnaies sociales ont un contenu écologiste et solidaire et orientent le développement des économies régionales en ce sens en démultipliant l’impact des initiatives de développement soutenable en circuits courts qui préservent les ressources et valorisent les êtres humains.

L’expérimentation dans 6 Régions françaises du SOL

Il s’agit depuis 3 ou 4 ans de la Bretagne, du Nord Pas De Calais, de l’Ile de France, de Rhone Alpes et d’Alsace et Midi Pyrénées en partenariat de démarrage avec la MACIF, la Maif, le Crédit Coopératif et la coopérative du Chèque Déjeuner ; le SOL  se présente comme une carte à puce , les transactions (distribution et paiement en SOL) se font soit par un terminal de paiement soit par l’interface web. Le SOL coopération est d’abord un moyen d’échange et de paiement entre des entreprises et des particuliers qui participent du réseau SOL et en partage les pratiques et les valeurs, c’est une sorte de carte de fidélité multi-enseignes. Les entreprises du réseau distribuent des SOL à leurs clients en échange d’achat réalisés et elles acceptent aussi le paiement en SOL. Le SOL s’appuie sur l’Euro mais l’achat des premiers SOL et leur circulation constitue un fond de garantie dont le montant circule au sein du réseau d’entreprise et des consomm’acteurs.  Et le SOL est une monnaie fondante qui  est faite pour l’échange et non la spéculation et les particuliers doivent l’utiliser car sinon elle perd de sa valeur avec le temps. La différence venant alimenter un fond d’aide aux projets solidaires.

Le SOL engagement généralise et comptabilise les échanges de temps, de savoirs et de services (1SOL= 10 minutes) il rend ainsi visible cette richesse non monétaire (en Euros) des comportements d’entraide et de solidarité entre habitants d’un même territoire partagé.

Enfin le SOL peut être mobilisé comme outil des politiques publiques ( chèques petite enfance, transport social, alimentation saine, pass’culture, tri sélectif, déplacements doux…).

On voit bien l’intérêt de ces expérimentations de monnaie locale pour les modifications de comportements, la mutation et la cohésion des économies locales avec un Euro rare et menacé dans un environnement mondial très instable :

* des entreprises en réseau qui proposent des biens et des services marchands à valeur ajoutée écologique et sociale, ancrée dans des territoires de vie et des valeurs partagées,

*des associations qui innovent et développent des actions d’entraide, de lien social, de culture, de citoyenneté,

*des consomm’acteurs et citoyens partie prenante,

*des collectivités facilitatrices d’un développement économique et social local humain et écologiquement soutenable.

*le mélange de toutes les richesses d’un territoire (humaines,économiques et non monétaires) remet à sa place l’économie et la finance comme moyen et non comme fin en soi.

Un dernier exemple pour stimuler notre réflexion :  le Saber au Brésil ; on connaît la crise des apprentissages et les échecs scolaires ; des études ont montré que seulement 5% de ce qui est enseignée lors d’une conférence orale est retenue, 10% en lecture personnelle, 50% en discussion de groupe ET  90% si quelqu’un enseigne individuellement à une autre personne ; on voit bien que le système scolaire et ses financements ne permettent pas celà (sauf pour des privilégiés). On donne des sabers (équivalents de la monnaie nationale brésilienne) à des enfants de sept ans s’ils choisissent de se faire parrainer par un enfant d’une classe supérieure (lui même « dédommagé » en sabers) et qui se choisit un mentor de douze/treize ans et ainsi de suite jusqu’à l’étudiant qui veut entrer à l’université. Ce dernier paie alors ses frais d’inscriptions en monnaie complémentaire et le Ministère de l’Education rachète aux universités les sabers reçus en monnaie nationale avec une équivalence préalable convenue. Comparativement à l’impact d’une bourse d’étude classique ou au soutien scolaire incertain, la quantité de connaissances accumulée sera multipliée par 50/ 10 fois plus de connaissances accumulées  5 fois entre l’écolier de 7 ans et l’étudiant.

Relocalisation de l’économie, monnaies locales, nouveaux indicateurs de richesse, prospérité sans croissance…c’est une voie de sortie écologique et solidaire de la crise mondiale dans laquelle nous baignions.

Mais, une nouvelle fois, les écologistes doivent informer, expliquer, débattre, rendre crédibles ces propositions dans le débat public. Personne ne le fera à notre place ; cela doit faire partie de nos propositions des Etats généraux de l’Ecologie et de l’Emploi et être porté dans les programmes électoraux du projet 2012.

Jean Pierre LANCRY          Rouen le 31/07/2011

2 commentaires pour “Les monnaies complémentaires, un outil pour la relocalisation et la mutation écologique et solidaire de l’économie”

  1. voir le SOL-Violette à Toulouse : http://vimeo.com/27373039, et bientôt l’EPI au Havre : http://www.lehavreinfos.fr/2011/11/12/lepi-future-monnaie-locale-au-havre/

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