La commission Energie d’#EELV publie une note d’information suite aux déclarations de M. Henri Proglio dans un article du Parisien le 9 novembre 2011

Les déclarations de M. Proglio dans l’interview publiée le 9 novembre 2011 dans Le Parisien appellent des réponses détaillées. Le patron d’EDF n’hésite pas à déformer la réalité et à manipuler les chiffres pour défendre une énergie à l’agonie. Le débat sur l’avenir énergétique de la France mérite mieux que cela.

1. Concernant les emplois et le nucléaire

M. Proglio agite la crainte de la perte d’emploi par des mensonges objectivement indéfendables. C’est la transition énergétique avec sortie du nucléaire qui est source d’emplois (+ 500 000 emplois nets au moins), pas l’inverse.
Le Parisien titre : « Sortie du nucléaire : ‘un million d’emplois mis en péril’ selon le PDG d’EDF ».
M. Proglio affirme en effet :
« une telle décision [sortir du nucléaire, ndlr] menacerait 400.000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire, 500.000 emplois dans les entreprises actuellement localisées en France et très gourmandes en énergie, comme l’aluminium, qui risquerait de partir à l’étranger. Il faut y ajouter 100.000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France. Au total, 1 million d’emplois seraient mis en péril et cela coûterait entre 0,5 et 1 point de PIB. Rien de tout cela n’est inimaginable. »
M. Proglio annonce 1 million d’emplois perdus, en mélangeant emplois nucléaires directs, indirects et induits, emplois industriels, hypothétiques emplois futurs pour le développement à l’étranger.
1.1. Emplois nucléaires directs, indirects et induits
D’après une étude du cabinet PriceWaterhouse réalisé pour AREVA, voici la structure de l’emploi relative au nucléaire en France :
Emplois directs (Activité spécialisée dans le nucléaire) 125 000
Emplois indirects (Sous-traitants) 114 000
Emplois induits (Dépenses des employés du nucléaire (directs et indirects) créant une fraction d’emploi) 171 000
Total 410 000
Les emplois induits correspondent aux emplois alimentés par les dépenses des employés du nucléaire et des employés des sous-traitants du nucléaire (par exemple, le boulanger d’une commune abritant une centrale). Leur inclusion dans ce calcul fausse le débat puisque les emplois induits ne dépendent pas d’une technologie donnée (le nucléaire, le charbon, l’éolien …). Ils seraient aussi induits par d’autres types d’activités (production d’énergies renouvelables, rénovation du bâti, etc.).
S’il y a des emplois indirects dans le nucléaire (environ 1 emploi indirect pour 1 emploi direct), il en va de même pour les énergies renouvelables, avec un ratio similaire ou supérieur.
Afin de réaliser une comparaison intellectuellement honnête, comparons l’état des emplois directs en France et en Allemagne dans le nucléaire et dans les énergies renouvelables :
  • en France, 239 000 personnes sont employées directement et indirectement dans la filière nucléaire (qui représente 75% de la production d’électricité) ;
  • en Allemagne, les énergies renouvelables électriques représentent déjà aujourd’hui 370.000 emplois directs et indirects (pour une part de 20% de la production d’électricité).
Production 2010 (GWh) Emplois Ratio Emploi/GWh
Nucléaire France 428 000 239 000 0.6
Renouvelables Allemagne 103 000 370 000 3.6
Il suffit de regarder le tableau pour se rendre compte que par GWh produit, les EnR sont nettement plus génératrices d’emploi. La différence entre les ratios emploi/énergie produite entre le nucléaire français et les renouvelables en Allemagne est d’un facteur 6. Les renouvelables en Allemagne créent six fois plus d’emploi que le nucléaire français, par unité d’énergie produite.
1.2. Les « 500 000 emplois industriels »
M. Proglio trouve une potentielle destruction de « 500 000 emplois » à cause d’une augmentation du prix de l’énergie.
L’argument de la baisse de compétitivité en cas de sortie du nucléaire ne tient pas : en Allemagne, le prix de l’électricité est plus élevé et pourtant le tissu industriel allemand est bien plus solide que l’industrie française… et l’outil industriel allemand est également plus moderne, plus électrifié mais de manière plus performante et plus économe.
Les chiffres ne trompent pas, là encore : d’après la base de donnée STAN de l’OCDE, il existait au total 1,5 fois plus d’emplois industriels en Allemagne qu’en France en 2007 (dernières données). Mais surtout, ce ratio est plus élevé dans tous les secteurs électro-intensifs : 2,1 fois plus d’emplois dans le papier, 3,7 dans la chimie hors pharmacie, 2,5 dans l’acier, 3,9 dans les métaux non ferreux…
D’autre part, M. Proglio n’est pas à une contradiction près puisqu’il affirme lui-même que le prix de l’électricité devra augmenter même si la France reste dans le nucléaire (cf. infra).
Ainsi, pour EELV, ce ne pourrait être une électricité moins chère qui sauverait la compétitivité de l’industrie française dans un environnement hautement concurrentiel. Il faut au contraire miser sur l’innovation dans les process et sur l’efficacité énergétique de la production. Comme pour les ménages, miser sur les économies d’énergie est la seule voie d’avenir : les gisements d’économies sont connus et ils sont rentables. De plus, les énergies renouvelables ainsi que la maîtrise de l’énergie constituent de formidables opportunités pour l’industrie française, aussi bien pour son marché intérieur qu’à l’export.
1.3. Emplois liés à l’exportation du nucléaire
En ce qui concerne les 100.000 emplois qui proviendraient, selon M. Proglio, du futur développement du nucléaire à l’étranger, le chiffre est grossièrement exagéré et mensonger. Dans le meilleur des cas (sur la base d’une hypothèse extrêmement favorable, eu égard au peu de pays qui s’intéressent à l’EPR), seule la conception aura en partie lieu en France, la construction et l’exploitation se faisant évidemment sur place. Ainsi, quelques centaines d’ingénieurs au maximum seront concernés.
Sans compter qu’à l’échelle internationale, la « renaissance du nucléaire » reste très largement une fiction, d’autant plus que les marchés les plus prometteurs (Chine, Inde, Russie) font tout pour maîtriser eux-mêmes la filière industrielle, laissant peu de place aux industriels français. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les dernières déclarations des responsables indiens sur le nucléaire.
1.4. Avenir des emplois nucléaires
De manière plus générale, la transition énergétique (avec sortie progressive du nucléaire et des énergies fossiles) créera bien plus d’emplois qu’elle n’en détruirait (cf. infra). Les difficultés de reconversion des employés du nucléaire sont également réduites pour deux raisons :
  • d’une part, la pyramide des âges de l’emploi de la filière (EdF, Areva, principalement) fait état d’un départ à la retraite massif d’ici 2020 (+ de 40%, plus de 50% pour les seuls employés du nucléaire d’EDF, selon M. Proglio) ;
  • d’autre part, ces emplois sont constitués essentiellement de cadres (environ 60% pour AREVA et EDF, un peu moins pour les entreprises de sous-traitance), qui pourraient facilement se reconvertir dans des secteurs annexes les énergies renouvelables et la MDE.
Il ne s’agit en aucun cas de « tuer » la filière nucléaire. Même en cas de sortie, celle-ci aura encore pour longtemps besoin de nombreux emplois qualifiés, que ce soit pour l’exploitation et la maintenance ou encore pour le développement d’un pôle d’excellence en matière de gestion des déchets et de démantèlement des réacteurs. Cette excellence, d’ailleurs, sera prisée au niveau international tant l’expertise manque crucialement.
Au-delà des chiffres, il faut s’interroger sur la nature des emplois du nucléaire. La France se caractérise en effet par un système de sous-traitance en cascade, avec jusqu’à 7 niveaux de sous-traitance et une protection des travailleurs qui diminue d’autant (« la viande à rem »). Ce système a été de nombreuses fois remis en cause par l’ASN et les syndicats de la filière (comme l’illustrent les grèves récentes).
En cas de sortie comme de maintien du nucléaire, il paraît donc urgent de s’assurer que ce phénomène de sous-traitance soit davantage limité et que la protection des travailleurs du nucléaire soit garantie à tout moment.
1.5. Transition énergétique et emplois
La transition énergétique créerait de manière nette au minimum plus de 500 000 emplois d’ici 2020 :
  • de l’ordre de 300 000 emplois dans la rénovation du bâti (hypothèse de 900 000 logements rénovés par an en 2020) ;
  • au moins 300 000 emplois dans les énergies renouvelables (en 2020 : 40% d’électricité renouvelable et 40% de chaleur renouvelable) .
Cela s’explique simplement parce que le contenu en emplois des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique est bien plus élevé que pour le nucléaire ou que pour les énergies fossiles, pour un coût qui est ou sera prochainement très comparable.

2. Sur le « coût » des scénarios électriques

M. Proglio affirme qu’ « En France, cela [la sortie du nucléaire, ndlr] impliquerait aussi un investissement de 400 milliards d’euros pour remplacer le parc existant par des moyens de production alternatifs, ce qui se traduirait par un doublement de la facture d’électricité. »
En préalable, il convient de souligner qu’il faut distinguer « investissements » et « prix de l’électricité », souvent confondus sous le terme de « coût ».
2.1. Investissements
Le chiffre de 400 milliards d’euros avancé par M. Proglio repose très certainement sur l’étude de l’Union Française de l’Electricité (association des producteurs d’électricité), sortie lundi 7 novembre.
Là encore, M. Proglio tient un raisonnement d’une malhonnêteté intellectuelle incroyable.
En effet, M. Proglio oublie de dire que, selon la même étude, le scénario d’un maintien dans le nucléaire implique un investissement de 300 Mds€ d’ici 2030.
Donc, sur la base d’une étude pourtant réalisée pour le compte du lobby nucléaire, la différence entre rester et sortir ne s’élève qu’à 100 Mds€, soit un surcoût de seulement 33% par rapport au scénario d’un maintien dans le nucléaire ou encore quatre fois moins que ce que soutient M. Proglio, qui confond à dessein investissements et surcoûts.
Surtout, cette étude de l’UFE est très contestable, notamment du fait que les hypothèses retenues quant à l’efficacité énergétique sont d’un extrême pessimisme (ce qui n’est pas étonnant s’agissant d’une étude commandée par les électriciens, dont EDF et GDF-Suez, toutes deux largement impliquées dans le nucléaire ). De plus, en reportant la question du remplacement des réacteurs actuels par de nouvelles centrales (supposées plus sûres mais surtout plus chères) à une date ultérieure, l’analyse fausse quelque peu le chiffrage, puisque les coûts augmenteront de ce fait considérablement après 2030 dans le scénario de maintien massif du nucléaire pour financer ces nouvelles constructions.
Une étude sur le même sujet, réalisée par Benjamin Dessus, arrive à la conclusion que la sortie du nucléaire impliquerait des investissements de 10 à 15% inférieurs au maintien du nucléaire (soit 50 à 100 Mds€), pour un total investi du même ordre de grandeur que dans l’étude de l’UFE (autours de 500 Mds€ en 2030).
En conclusion, toutes les études prospectives – y compris celles pilotées par le lobby nucléaire – montrent qu’il faudra investir à peu près autant pour le maintien que pour la sortie du nucléaire. Selon les études, la différence entre les deux cas de figure varie peu dans un sens ou dans l’autre (+ ou – 25%). En revanche, l’incertitude liée au coût du nucléaire est bien plus importante que l’incertitude liée aux EnR, sans évoquer le risque d’un accident majeur et les dégâts humains, matériels et environnementaux associés.
2.2. Facture pour les ménages
De même, sur le coût de l’électricité pour les ménages, M. Proglio confond à dessein prix de vente et facture.
M. Proglio affirme que sortir du nucléaire « se traduirait par un doublement de la facture d’électricité ». Cette analyse repose probablement toujours sur l’étude de l’UFE citée précédemment.
Il fait une comparaison relative en 2030 : selon lui, par rapport à aujourd’hui, l’augmentation serait de 33% en cas de maintien du nucléaire, 65% en cas de sortie.
Ce faisant, M. Proglio reconnaît en réalité qu’il faut prévoir une augmentation du prix de vente unitaire (€/kWh) de l’électricité quel que soit le scénario. Les écologistes ne peuvent que s’accorder avec lui sur ce point.
En revanche, la conclusion qu’EELV tire de cet état de fait est tout à fait différente de celle des producteurs d’électricité. Au lieu de réfléchir en termes de prix unitaire (le kWh), il convient de réfléchir en termes de facture réelle des ménages, c’est à dire le prix unitaire multiplié par la quantité consommée…
Pour agir sur la facture, il est nécessaire de réaliser des économies d’énergie, ce que les électriciens n’envisagent pas sérieusement. Cela s’explique peut-être par le fait que les économies d’énergie sont structurellement beaucoup plus difficiles dans un système basé sur le nucléaire, pour des motifs liés à la centralisation de la production, à l’existence de conflits d’intérêts ou encore à une production en base ne correspondant pas aux besoins. Or, les économies d’électricité ont la particularité d’être très rentables.
Une preuve en est qu’en Allemagne, un ménage consomme 25% de moins d’électricité qu’un ménage français (hors chauffage afin que la comparaison soit honnête) pour un même confort.
Si on envisage sérieusement une transition énergétique, c’est-à-dire en incluant des économies d’énergie –contrairement à l’étude de l’UFE-, la conclusion est que la facture finale des ménages et des entreprises sera plus faible d’au moins 10% en cas de sortie du nucléaire par rapport au maintien du nucléaire (étude B. Dessus).

3. Les émissions de gaz à effet de serre et la sortie du nucléaire

La sortie du nucléaire de l’Allemagne (ou de la France) va-t-elle conduire à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre ? M. Proglio affirme « D’abord, cela augmenterait probablement de 50% les émissions de gaz à effet de serre à cause de l’utilisation du charbon, du gaz et du pétrole pour remplacer le nucléaire. C’est ce que fait l’Allemagne. »
La mauvaise foi de M. Proglio est évidente.
En effet, comme M. Proglio le sait parfaitement, le secteur de l’électricité est sous contrainte des « permis d’émission » européens (quotas carbone), comme une grande partie du secteur industriel.
Quel que soit le choix du mode de production électrique, le nombre de quotas européen reste fixe. Le système de quotas fonctionne donc comme des vases communicants : si certains secteurs peuvent émettre plus, d’autres doivent réduire leurs émissions, à quantité totale de quotas égale. Ainsi, si les électriciens veulent émettre plus pour produire l’électricité, ils devront acheter des quotas à d’autres industriels qui eux réduiront leurs émissions. Cette demande aura un effet à la hausse sur les prix des quotas, favorisant ainsi l’innovation dans les réductions d’émissions.
En revanche, d’un point de vue environnemental, strictement aucun effet ne peut être observé.
L’Allemagne s’est engagée sur un objectif de 40% de réduction de ses émissions de GES en 2020 (la France s’en tient à un objectif de 20%) qu’elle n’a pas remis en question avec la décision de sortie du nucléaire.
En réalité, la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre est bien plus large que la question électrique… D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, la France ne devrait pas avoir de problèmes d’émissions de gaz à effet serre, avec 75% de nucléaire. Or, l’empreinte carbone par habitant de la France est du même ordre de grandeur que les pays n’ayant pas de centrale nucléaire. On le voit, l’industrie du nucléaire s’est emparée de la question du climat comme d’une bouée à des seules fins de communication : le changement climatique mérite bien mieux.
De plus, il ne faut pas oublier que tout effort de maîtrise de l’énergie, notamment dans la rénovation des bâtiments, conduit à une baisse des besoins non seulement en électricité, mais aussi en énergies fossiles (gaz, fioul), réduisant d’autant les émissions de gaz à effet de serre.

4. L’EPR de Flamanville

4.1. L’EPR : une catastrophe industrielle
Le coût actuel estimé de l’EPR a été revu à la hausse, pour un total de 6 Mds€ aujourd’hui, dont environ 3 Mds€ resteraient à dépenser. On remarquera que M. Proglio ne s’engage pas à ce qu’il n’y ait pas de nouvelle augmentation et ne donne aucun élément chiffré sur cette question.
Concernant le coût de production de l’électricité à la sortie de l’EPR, celui-ci peut être évalué (en prenant comme hypothèse – très incertaine – l’absence de surcoût supplémentaire : frais financiers, R&D, malfaçons etc.) au minimum de 75 à 80€/MWh.
L’éolien produit actuellement à ce coût. Dès lors, il est clair que le nucléaire de l’EPR n’est pas plus compétitif que les EnR.
De même, le prolongement des centrales existantes nécessiterait des investissements considérables (au moins 1 Md€ par réacteur uniquement pour la remise à niveau suite au retour d’expérience de Fukushima.
Au surplus, ces coûts n’incluent pas, bien sûr, le coût réel du traitement des déchets (y compris pendant plusieurs milliers d’années), le coût réel du démantèlement (l’unique tentative à Brennillis a vu son coût multiplié par 20 depuis 25 ans sans résultat définitif pour l’instant), l’assurance en cas d’accident majeur (y compris suite à des actes de malveillance ou un attentat), coût de la prolifération nucléaire, les efforts considérables de R&D publique payés intégralement par les contribuables, etc.
4.2. Faut-il poursuivre la construction ?
Rappelons que les trois autorités de sûreté nucléaire britannique (HSE), finlandaise (STUK) et française (ASN) ont fait une déclaration commune le 2 novembre 2010 relative un problème de conception de l’EPR. Depuis, aucune de ces trois autorités n’a encore approuvé le nouveau système proposé par EDF et AREVA. D’une manière générale, rappelons que la conception de l’EPR a été réalisée dans les années 1990, et qu’elle laisse grandement à désirer sur de nombreux points : pas de résistance à un accident ou attentat d’avion, pas de protection importante de la piscine de stockage du combustible (facteur de vulnérabilité majeur révélé par l’accident de Fukushima), etc.
Au-delà de la conception, de nombreux « écarts et faiblesses » sur le chantier de Flamanville ont été reprochés à EDF par l’ASN.
En tout état de cause, le système français impose qu’une autorisation soit accordée par l’ASN après la fin du chantier. Ainsi, avant toute mise en service, il faudra que l’ASN donne une autorisation de sûreté, qui sera le résultat d’une analyse croisée entre la conception et la réalisation.
Sauf à préjuger de la décision de l’ASN, il existe donc un risque non négligeable, au regard des écarts de construction et de problèmes de mauvaise conception, que les investissements à venir (plus de 3Mds€) soient réalisés en pure perte.
4.3. EPR, sûreté et service public de l’électricité
On peut lire dans l’audit réalisé par EDF à la suite de l’accident de Fukushima que la fusion du cœur de l’EPR aurait lieu au bout de quelques heures, soit au même rythme que les réacteurs actuels (dits de deuxième génération). De plus, le confinement (absence de rejets massifs) tiendrait trois jours pour l’EPR, alors qu’il tiendrait de un à trois jours pour les anciens réacteurs.
Force est donc de constater que l’EPR dit de « troisième génération » ne présente pas de différence réelle avec ses homologues plus anciens en termes de sûreté.
Bien au contraire, M. Proglio déclare qu’« en cas d’accident, l’entreprise [le service public EDF, ndlr] n’y survivrait pas. »
Puisque rien ne permet de considérer que le nucléaire de demain sera véritablement plus sûr, M. Proglio annonce donc que le maintien dans le nucléaire correspond à continuer comme aujourd’hui, avec les mêmes risques d’accident majeur, doublés du risque d’une faillite du service public de l’électricité en France.
4.4. Exportations des EPR
M. Proglio affirme : « Nous construisons deux EPR en Chine et nous allons en construire deux autres en Grande-Bretagne. »
Ceci est totalement faux.
Si deux EPR sont effectivement en construction en Chine, le programme nucléaire au Royaume-Uni est en revanche suspendu. Il l’a été, ironie, à l’initiative d’EDF qui estime ne pas avoir suffisamment de garantie de la part du gouvernement britannique que le nucléaire bénéficiera de subventions étatiques suffisantes… comme les renouvelables. Le comble pour une technologie supposée mature et très compétitive !

5. Fukushima

M. Proglio déclare : « Mon propos n’est pas de minimiser l’accident nucléaire. Si la centrale a résisté au tremblement de terre, c’est bien le tsunami qui a coupé les sources de refroidissement provoquant le réchauffement puis la fusion des cœurs de la centrale. »
Encore une fois, M. Proglio n’est pas sérieux. Les dernières études sur les rejets causés par l’accident de Fukushima ont en effet montré que les premiers rejets massifs ont eu lieu avant l’arrivée du tsunami. Autrement dit, l’accident nucléaire majeur a commencé avec le tremblement de terre, et s’est aggravé avec le tsunami.

6. Compétitivité du nucléaire et des énergies renouvelables

Les dépenses publiques de recherche et développement relatives à l’énergie dans les pays membres de l’Agence internationale de l’énergie (pays occidentaux), entre 1974 et 2002, se sont orientées :
  • à 58% (170 Mds$) vers le nucléaire ;
  • à 8% (23.5 Mds$) vers l’efficacité énergétique ;
  • à 8% vers l’ensemble des technologies en matière d’énergies renouvelables.
Dans ce contexte, comparer les coûts de déploiement actuels du nucléaire et des renouvelables ou de l’efficacité énergétique n’est pas équitable ; pourtant, l’analyse sur l’EPR faite ci-avant montre que les résultats sont d’ores et déjà défavorables au nucléaire.
En effet, malgré les efforts continus et massifs de R&D, le nucléaire est l’une des seules technologies dont la « courbe d’apprentissage » est croissante : le coût de production augmente à chaque nouvelle technologie (pour des raisons de sûreté évidentes (cf. le cas de l’EPR)), alors que c’est l’inverse pour les énergies renouvelables.
Par exemple, sur les six premiers mois de l’année 2011, le coût d’installation du photovoltaïque a chuté de 20% ; cette technologie atteindra probablement la compétitivité sans plus besoin d’aides publiques en France à partir de 2015.

7. Prolongation des centrales

M. Proglio parle d’un prolongement de la durée de vie des centrales à 70 ans, notamment aux Etats-Unis :
« Les centrales étaient initialement prévues pour durer 40 ans. Un peu partout dans le monde, les pouvoirs publics ont pris la décision d’étendre cette durée de vie. Aux Etats-Unis par exemple, elles ont été prolongées jusqu’à 70 ans et on parle même de les prolonger de 10 voire 20 ans de plus. En France, on parle de 60 ans. Il faut savoir que dans une centrale tous les équipements ont vocation à être remplacés, optimisés ou modernisés. Elles n’ont plus rien à voir aujourd’hui avec ce qu’elles étaient il y a trente ans. »
Il est permis de s’interroger sur les sources de M. Proglio ; en effet, contrairement à ce qu’il affirme, les autorisations maximales d’exploitation de centrales sont de 60 ans aux Etats-Unis. Ces autorisations ont été accordées pour des centrales qui ont aujourd’hui moins de 40 ans. De plus, la procédure américaine n’étant pas similaire à la procédure française, une autorisation de prolongement de 40 à 60 ans obtenue dans le cadre du programme d’extension de vie (PLEX) ne vaut pas forcément prolongation dans la réalité. En effet, il s’agit simplement d’un accord de principe avec des vérifications ultérieures pouvant aboutir à une mise à l’arrêt anticipée.
En tout état de cause, EELV estime qu’il est tout simplement irresponsable, compte-tenu de la gravité incommensurable des risques en jeu, de « jouer avec le feu nucléaire » de telle sorte.
Mais surtout, la plus vielle centrale en fonctionnement dans le monde actuellement est âgée de 45 ans. La plus vieille qui ait jamais fonctionné a été fermée à l’âge de 46,5 ans. Autrement dit, il n’existe pas de retour d’expérience dans le monde sur une centrale d’un âge supérieur à 47 ans de fonctionnement.
Dans ces conditions, laisser entendre qu’il existe des centrales approchant les 70 ans confine au ridicule : elles auraient dû ouvrir en 1941, avant même l’explosion de la première bombe atomique !
De plus, les centrales françaises ont été initialement conçues pour 30 ans de durée de vie, et non 40 ans comme M. Proglio l’affirme. Pour atteindre l’âge de 40 ans, il leur faudra donc obtenir une autorisation de prolongation, ce qui n’est pas garanti contrairement à ce que M. Proglio laisse entendre (de manière paradoxale, il le reconnaît lui-même ailleurs : « La tranche numéro 1 de Fessenheim a passé avec succès l’audit de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui a autorisé sa prolongation pour dix ans. J’espère que l’avis de l’ASN sera de même nature pour la tranche numéro 2. »). Dès lors, prétendre atteindre 60 ans et a fortiori 80 ou 90 ans, en France ou aux Etats-Unis, relève de la pure spéculation que seuls les exploitants de centrales ont intérêt à avancer.
Enfin, dernière inexactitude : toutes les pièces d’une centrale ne peuvent être remplacées ou modernisées. Certains éléments, au cœur du système, sont d’origine et le resteront, ce qui pose des problèmes de faisabilité pour certains travaux de réhabilitation.
A titre d’exemple, l’Autorité de Sûreté Nucléaire a formulé une condition pour la prolongation de la durée de vie du 1er réacteur de la centrale de Fessenheim, qui consisterait à renforcer la dalle de béton en dessous du cœur de réacteur (pour éviter que d’éventuelles fuites contaminent le Rhin). Or, dès lors qu’il est impossible d’enlever le cœur de réacteur, un tel renforcement apparaît impossible. Il en va de même pour les cuves de réacteurs, sur lesquelles des travaux de réhabilitation peuvent uniquement s’attaquer à des défauts mineurs (microfissures dans l’acier). En cas de défaut majeur, une telle réparation, ou le remplacement de la cuve, paraît impossible.

8. Risque de black-out et indépendance énergétique

M. Proglio affirme :
« En toute hypothèse, la France ne manquera pas d’électricité cet hiver (….). Nous avons été exportateur d’électricité l’an dernier, nous le serons encore cette année. (…) La France est l’un sinon le seul pays européen à avoir assuré son indépendance énergétique grâce à sa production nucléaire. S’y ajoute des moyens de production complémentaires, comme les énergies renouvelables qui sont et resteront encore un moment marginales pour des raisons de compétitivité. Nous n’avons donc pas de besoins d’importation de pays étranger quel qu’il soit, aussi bien l’Allemagne que l’Italie, l’Espagne ou tout autre. Cela n’exclue en revanche pas, mais pour des raisons strictement liées à l’optimisation, que nous puissions à certains moments bien précis, comme les heures de pointe par exemple, exporter et importer en même temps. »
L’argument selon lequel France serait indépendante au plan énergétique est proprement scandaleux, pour de multiples raisons :
  • la France importe la totalité de son uranium, étant ainsi dépendante de ressources extérieures ;
  • si la France était réellement indépendante, la facture des importations énergétiques françaises ne s’élèverait pas en 2011 à environ 70 milliards d’euros, soit autant que le déficit commercial de la France. Le lobby nucléaire joue sur l’amalgame commun entre « électricité » et « énergie » : rappelons que l’électricité ne représente que 24% de l’énergie finale consommée en France… Le nucléaire ne nous est par conséquent d’aucun secours pour 76% de l’énergie consommée ;
  • le nucléaire n’a pas permis de réduire la dépendance au pétrole de la France (la consommation annuelle moyenne par habitant de produits pétroliers était en 2009 de 1.06 Tonne Equivalent Pétrole en France, contre seulement 1.01 en Allemagne, 0.99 au Royaume-Uni et 0.92 en Italie) ;
  • sur le système électrique (M. Proglio confond toujours à dessein « électrique » et « énergétique »), la France demeure étroitement dépendante des imports/exports, notamment en période de « pic de consommation » du fait du chauffage électrique (lui-même développé à grande échelle pour écouler le surplus de production nucléaire). Au cours de ces périodes de pic (matin et soir), elle doit donc importer massivement de l’électricité (au moment même où le tarif est le plus élevé du fait de l’appel de puissance instantané).
Dans son rapport cité par M. Proglio, remis le 9 novembre11, RTE affirme que :
« des importations pourraient s’avérer nécessaires en novembre et décembre pour couvrir la consommation d’électricité en France et satisfaire les critères techniques de sécurité du réseau de RTE. »
La puissance potentielle d’importation nécessaire pourrait s’élever à 9000 MW dans les conditions les plus défavorables, soit l’équivalent de 10 réacteurs.
En outre, RTE estime depuis plusieurs années que le problème de la rupture d’approvisionnement en raison de l’augmentation régulière du phénomène de pointe électrique est le risque majeur pour le système électrique français, avant même la question de l’intermittence des énergies renouvelables.
A l’inverse, des analystes annonçaient la semaine dernière que l’Allemagne, malgré son choix de fermer ses centrales nucléaires, ne craint pas le black-out, contrairement aux affirmations des exploitants de centrales nucléaires outre-Rhin.
Il est vrai que la France est exportatrice nette d’électricité ; toutefois, elle vend de l’électricité à faible valeur ajoutée et importe de l’électricité à haute valeur ajoutée. De plus, les importations ont explosé ces dernières années et le solde import-export s’est effondré (voir le Bilan 2010 de RTE).

CONCLUSION

EELV demande que le débat relatif à l’avenir énergétique de la France soit enfin mené : d’autres stratégies que celle des écologistes peuvent être envisagées et débattues.
En revanche, il est impossible de construire un échange démocratique serein et éclairé dès lors que l’une des parties s’autorise à manipuler les données.
EELV appelle la presse à jouer son rôle de vérification des faits afin de permettre l’émergence d’une discussion constructive sur l’avenir énergétique, environnemental, économique et social de la France et de l’Europe.

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